La neige rend con (mais seulement les journalistes)

Publié: 21 février 2013 dans Actu, Uncategorized
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Retour sur l’épisode neigeux de janvier dernier.

Les réseaux sociaux se sont enflammés suite au traitement journalistique de cet évènement  (ou non-évènement si vous n’êtes pas de la profession). Des maisons entières aussi se sont enflammées à l’occasion mais il semblerait qu’un chauffage défaillant soit plutôt en cause. Les 40 000 journalistes de France n’ont été d’ailleurs que brièvement retenus en garde à vue.

L’enquête sur les origines de l’affaire m’a mené tout droit vers une dénommée Evelyne Dhéliat. La papesse des milfs du web serait la première à avoir osé aborder le sujet une semaine avant les évènements malheureux qui ont dégénéré en psychose.

Un historien du journalisme contacté m’a expliqué que l’origine exacte de cet accès fiévreux dans le monde du journalisme proviendrait des premières vacances hivernales d’Yves Mourousi en Mars 1978. Bon soyons honnêtes mieux valait lui piquer cette fâcheuse habitude là plutôt que celle de chier dans les bidets. C’est donc devant le journal de 13 heures que la France découvrait à la fin des années 1970 pour la première fois ces particules de glace cristallisée tombantes du ciel par milliers. Des rumeurs circulaient déjà dans le tout-Paris mais elles furent vite éclipsées par des troublantes révélations de l’express sur les juifs de la Franc-maçonnerie qui seraient sur le point de renverser le régime. La suite a montré qu’il s’agissait seulement de l’organisation d’une soirée Bingo.

Tram de la neige

Tram de la neige

Des photos avaient également circulé à la fin des années 1950 tendant à prouver l’existence de ce nouveau type de précipitations qui n’était « pas vraiment de la pluie, ni de la grêle ». Ces photos ont bien vite dénoncées comme photoshopées et dans le milieu journalistique on s’est bien vite plus intéressé à ce classement des 256 hopitaux français où il fait bon vivre..

Mais revenons aux faits du mois de janvier dernier, origine de tant de tracas. Déjà dès le mois de décembre Jean-Pierre Pernaut avait un orgasme en direct durant son journal de 13 heures en voyant de la neige tomber sur le toit d’un chalet de marché de Noël de province. Orgasme qui, par effet papillon interne entraîna un relâchement soudain du sphincter externe. Heureusement le seul effet visible à l’antenne étant un léger frémissement du sourcil gauche cela n’a eu aucune conséquence sur son public du 3ème âge.

Je n’ai jamais compris pourquoi les chaînes infos en été nous annoncent une canicule depuis leurs studios alors que pour annoncer neige ou tempête elles se sentent obligées d’envoyer quelqu’un dehors faire un duplex en anorak. Comme si elles avaient peur qu’on ne les croit pas. Comme si elles croyaient encore que les gens croient ce qu’on leur raconte à la télé.

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Enfant retrouvé mort gelé et momifié à Nantes

EXCLU : Laurent Delahousse sera la prochaine égérie de la marque The North Face.

EXCLU numéro 2 : On a jamais vendu autant de thermomètres que depuis que les 20 heures leur consacrent moult gros plans.

Un psy m’a affirmé qu’une telle passion des journalistes ne peut être liée qu’à un traumatisme de l’enfance, de type classe de neige annulée à la dernière minute en CM2. Vu le nombre de journalistes incriminés et le nombre de classes de neige annulées par an cela parait cependant peu probable.

REVUE DE PRESSE

Mais l’épisode neigeux c’est avant tout l’occasion de rendre hommage aux vrais gens à travers de splendides moments de télé qui commencent éternellement par « à 70 ans Roger n’a jamais quitté son village de (insérer ici un nom de département moisi) »

Dans ce premier extrait du 13h, Yvette, haute-mayonnaise* également haute en couleur (une chieuse quoi) se souvient que, petite, son père lui « faisait la route avè la pelle » afin quelle puisse rallier l’école. Un autre témoignage, d’un expert, nous interpelle « Ces jours-ci y a un changement de lune. Alors ça dépend faut regarder le début de la lune comment ça démarre » nous explique-t-il. « Si ça s’arrange ce sera pas trop mauvais sinon si ça repart à la neige on en a encore pour un mois quoi » Un expert en élevage d’ovidés ai-je oublié de préciser. Louis et Paulette nous réconfortent en nous expliquant qu’ils ont connu bien pire en 1961. Apparemment ils y ont survécu, même si la déco intérieure nous fait subodorer un léger blocage spatio-temporel au niveau de l’époque incriminée. Le témoignage d’Henri, 90 ans, nous démontre le caractère exceptionnel de cet évènement neigeux « je me souviens pas en avoir vu autant ». Il faut reconnaître à Jean-Pierre Pernaut un certain talent pour nous dénicher à chaque fois LE village de France qui a connu son pic neigeux du centenaire.

*J’avais d’abord écrit « Garonnaise » mais le correcteur orthographique WordPress  me l’a souligné en rouge et a proposé « mayonnaise ». J’ai trouvé ça trop mignon, désolé.

Evidemment tout accès de précipitations neigeuses entraîne inévitablement le traditionnel encombrement des urgences comme nous le démontre Claire Chazal « on ne compte plus les chutes de piétons » C’est dommage moi j’aurais bien aimé qu’on les compte. Apparemment le cameraman a suivi des inconnus dans la rue pendant des heures en vain puisqu’on a droit à aucune chute véritablement sérieuse. Tant pis après 6 heures de rushs infructueux l’équipe s’est rabattue sur les urgences pour nous narrer quelques fractures. Rien de transcendant. Même les gars du service espaces verts ont « troqué leurs sécateurs contre des pelles », et en profitent pour nous confier ainsi un témoignage bouleversant de sincérité et de poésie « c’est un autre boulot mais bon, c’est un boulot comme un autre ». Le tout accompagné d’un rictus dans lequel semble transpirer un vibrant « t’as vraiment rien d’autre à foutre espèce de gros con de journaleux»

Dans le même 20 heures du 19 janvier dernier une « rencontre improbable en plein centre de Nemours » : un type qui roule en VTT sur un tapis de neige, sac cabas au guidon, la journaliste, en voiture, ralentit à sa hauteur, l’homme continue de pédaler, jette un œil à la voiture, n’en a visiblement rien à branler, la dramaturgie est à son paroxysme tandis que la journaliste (ou apparentée) lance sournoisement au vieil homme « Mais dîtes donc c’est super dangereux ce que vous faîtes ! ». L’homme réplique aussitôt dans un moment d’une intensité qui n’est pas sans rappeler la grande époque Audiard « Peeeeeenses-tu ! » La voiture des journalistes le laisse à son trophée Andros tandis que ceux-ci s’en vont filmer un jeune homme grattant la neige sur son pare-brise avant de déplacer l’objectif vers l’habitacle et nous livrer ce succulent commentaire en voix-off « surtout restez bien au chaud madame ». La demoiselle n’ayant pas daigné ouvrir la vitre l’équipe de reporters s’en va tranquillement non loin de là interviewer un bonhomme de neige « pas très loquace ». Tant pis elle se réfugie vers une valeur sure en cette période : les enfants. Luge, batailles de boules de neige, « football sur glace » et ce magnifique moment cinématographique où l’équipe filme successivement un jeune garçon glisser sur une luge puis ce qui ressemble à une descente en caméra embarquée, probablement filmée par la même caméra sur la même luge quelques minutes plus tard. Un plan qui nous fait dire que certains journalistes reporters d’images ont clairement raté leur vocation de cinéaste. Je vous laisse découvrir la fin avec le lapin et la saleuse – ATTENTION SPOILER – qui est en fait un tracteur tondeuse modifié  EH OUI MESSIEURS DAMES quel cliffhanger inattendu !

Qu’y a-t-il de plus beau qu’un groupe d’enfants regardant tomber la neige avec des yeux de journalistes ?

Pendant ce temps-là au plus haut de l’état des voix discordantes se font de plus en plus entendre autour de cette nouvelle opération qui intervient est-il utile de le rappeler  le lendemain du déclenchement du conflit Malien.

Il faut quand même savoir que le plan neige est l’équivalent du plan vigipirate dans le monde du journalisme. Claire Chazal reconnaît elle-même dans cette séquence que Paris sous la neige « c’est presque inédit » Elle-même n’ose pas appeler ça un reportage mais une « carte postale ». Carte postale d’ 1’20 dans laquelle une présumée gentille mamie nous explique que « les petits flocons dans le cou c’est désagréable », ce gentil marchand lui nous informe que « tellement qu’il fait froid ça gèle et le chauffage a du mal à fonctionner ». Si je résume la carte postale : les vieux font leur marché, les vendeurs vendent, les sportifs font du sport, les touristes font des photos, la neige a décidément une emprise bien étrange sur les gens.

Claire Chazal qui nous propose une « carte postale » BORDEL T’ES PAS BURALISTE TU PRESENTES LE JOURNAL DE 20 HEURES GOURDASSE ! balance-nous plutôt une carte postale du conflit Malien ! « Bonjour Mamadou vous allez où avec ce pick-up ? Et dîtes c’est pas un peu dangereux de se promener avec une kalachnikov chargée autour du cou ? »

Je vais regarder une vidéo pour me calmer

Le vendredi 18 janvier dans Ouest-France, Mickaël Louédec nous donne lui « 10 bonnes raisons d’aimer la neige » parmi lesquelles j’ai retenu « 7. Quelqu’un qui tombe, c’est rigolo… » ou « 3. Ça nous fait un sujet de discussion », ça je ne vous le fait pas dire cher ami. Je ne peux m’empêcher de retenir aussi ce passage plein de poésie : « D’autant que cette neige, dans laquelle personne n’a encore marché, c’est un peu la nôtre » Un petit pas pour l’homme, mais un grand pas pour le journalisme d’investigation !

A propos de chute je ne résiste pas au plaisir de vous offrir ce sublime extrait de JT sur France 2, où on voit un pauvre bout de pare-choc enfoncé assorti d’une voix-off « une grosse frayeur pour notre équipe de tournage ». Quelle bande de fiottes sans déconner ! L’équipe n’est finalement pas effrayée au point de ne pas filmer ce type qui se casse la gueule pas moins de deux fois sous leurs yeux, se raccrochant difficilement à une borne incendie.

– Madame vous sortez vous allez où ?

– Ben je vais au pain !

Toujours cette étrange lueur d’incompréhension dans le regard de gens complètement désarmés face à autant d’à-propos. 20 secondes plus tard c’est un jeune garçon qui s’étale comme une merde sur le cul en arrière plan tandis qu’on interviewe un petit vieux au premier plan. Notez le subtil cadrage large et excentré du cameraman, relativement inhabituel quand on n’attend pas spécialement un vautrage en règle de son interlocuteur, ou d’un passant derrière lui. On ne sait plus bien si on regarde la messe du journal télévisé ou vidéo-gag. France 2 a vendu les droits de cette chute sur verglas à TF1 qui souhaite en faire un nouveau concept d’émission de télé-réalité, ça devrait s’appeler Sbam ! (titre provisoire) Au retour plateau Laurent Delahousse se presse alors de rire, sans doute de peur de n’avoir à en pleurer.

Grand moment de cette mecque hiverno-journalistique (oui pour un journaliste le reportage sur la neige est l’équivalent du Hajj pour un musulman) Ouest France nous sort LE dispositif spécial : pas moins de 49 vidéos, se sublimant toutes les unes les autres. Morceaux choisis :

Cette première nous présente un plan de 30 secondes sur des voitures dans un embouteillage, évidemment la route est enneigée sinon cette vidéo n’aurait aucun intérêt. Oh wait ! Celle-ci, de 24 secondes nous présente une Peugeot traversant une rue de Ploërmel, enneigée forcément. Ma préférée reste cette caméra embarquée de 18 secondes intitulée « la neige sur la route entre Vannes et Ploërmel » où l’on suit rien de moins qu’un véhicule utilitaire. Eh ouais mon pote. A Rennes à 4h du mat, un type est donc sorti de chez lui par -3°C afin d’interroger des gens bourrés sortant de boîte sur les conditions météorologiques. Remarquez que le gens bourré se prête assez volontiers à l’exercice.

Même les nains de jardin nantais n’ont pas peur de la neige, c’est pas dingue franchement ! 

Je vous épargne les séries de photos sur la place Viarmele château et le vignoble.

Cet article de Presse-Océan nous explique que l’aéroport connaît quelques retards et qu’il invite donc (logiquement) « les voyageurs à anticiper leur venue ». Je penche de plus en plus pour la thèse selon laquelle la neige ouvre un vortex vers un monde parallèle.

Même les québécois se foutent de notre gueule…

Mais l’omniprésence neigeuse de l’époque sur le microcosme journalistique nous permet quelques perles comme ces cambrioleurs retrouvés par la police qui a suivi leurs pas dans la neige, ou ce sexagénaire ivre qui s’est gelé le sexe en violant un bonhomme de neige, et enfin cet autre type qu’on a retrouvé vivant après avoir été enfermé deux mois dans une voiture sous la neige. Cela permet également de répondre à quelques questions existentielles comme « faut-il couvrir son chien quand il neige ? ». Notez que la question n’est pas « faut-il couvrir son chien par temps froid » mais bien « quand il neige« . Une preuve de plus s’il en était besoin du pouvoir d’attractivité de ce mot neige.

Dernière chose : les gars si vous voulez vraiment nous montrer de la neige vous allez dans un village de montagne, y en a 6 mois par an et bien plus que les 5 centimètres tombés sur Paris avec lesquels vous nous bassinez pendant une semaine. Et surtout avant de partir en reportage, posez-vous la question : quelle info je traiterais si y avait pas 5 centimètres de neige dehors ? Le choix éditorial est déjà une information en soi. Cette dernière phrase est beaucoup trop sérieuse j’aurais dû essayer d’y placer le mot bite.

Autant vous dire que l’absence de point d’interrogation dans le titre n’est définitivement pas un oubli.

Fin de la leçon. La semaine prochaine je m’attaquerai aux plombiers et à leur lamentable technique de cintrage d’un tuyau de cuivre.

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